Abstract

Cet article conceptualise l’idée qu’il existe une « matière noire » composée des structurations latentes identifiées par le regard machinique sur de grandes collections photographiques patrimoniales. Les campagnes photographiques de l’histoire de l’art, au xxe siècle, avaient pour ambition implicite de transformer toutes les œuvres d’art en documents plus facilement étudiables. Au fil du temps, la création de ces collections visuelles a permis de produire un corpus d’informations potentiellement plus dense et plus riche que ce que ses créateurs avaient initialement imaginé. En effet, la conversion numérique de ces immenses corpus visuels permet aujourd’hui de réanalyser ces images avec des techniques de vision par ordinateur, l’intelligence artificielle ouvrant ainsi la voie à des perspectives d’études bien différentes de celles envisageables au siècle dernier. Nous pourrions ainsi dire qu’il y a dans ces images un immense potentiel latent de connaissance, un réseau dense de relations qui n’a pas encore été mis en lumière. Qu’est-ce que les machines ont vu ou vont pouvoir voir dans ces collections d’images que l’homme n’a pas encore identifié ? Quelle étendue la connaissance visuelle de l’homme couvre-t-elle par rapport à ce que la machine a pu analyser ? Les nouvelles techniques d’indexation des images et des motifs qui les constituent nous rapprochent d’une révolution copernicienne du visuel dans laquelle l’homme peut, grâce à la machine-prothèse, analyser beaucoup plus d’images qu’il ne pouvait le faire par une simple activité mnémonique et sélectionner des perspectives spécifiques en comparant des ensembles de motifs les uns par rapport aux autres. Cette vision augmentée est fondée sur une pré-analyse conduite par la machine sur l’ensemble de ces corpus visuels, un entraînement qui permet de retrouver la structure sous-jacente du système d’images. La vision humaine est ainsi étendue par le regard artificiel préalable de la machine. Pour comprendre les enjeux de cette nouvelle alliance, il faut étudier la nature de ce regard artificiel, comprendre son potentiel pour découvrir des structures jusqu’à présent inconnues et anticiper les nouvelles formes de connaissances humaines auxquelles il pourra donner naissance. L’enjeu sera donc, pour les prochaines années, de comprendre ce que les machines ont vu et que nous ne savons pas encore.

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