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Abstract

Cette intervention s’inscrit dans une recherche interdisciplinaire plus large sur les pratiques matérielles de navigation savante dans les bibliothèques numériques et ce que celles-ci trahissent de la manière dont les chercheur·se·s s’orientent dans la pensée au XXIè siècle. Elle se fondera sur l’exploration de deux terrains distincts relatifs à la Bibliothèque nationale de France : d’une part, les archives de la conception dans les années 1990 d’une salle physique de lecture de documents virtuels – le poste de lecture assistée par ordinateur – et, d’autre part, les usages contemporains de consultation de documents historiques sur Gallica, plateforme enfantée par le P.L.A.O. De 1989 à 1994, en prévision de l’ouverture de la nouvelle Bibliothèque nationale de France sur le site Mitterrand, un groupe de chercheurs dirigé par Bernard Stiegler travaille à la spécification d’un poste de lecture assistée par ordinateur (P.L.A.O.). Au sein du département « Informatique et nouvelles techniques », ce groupe de travail composé d’historiens, philosophes, informaticiens et mathématiciens, s’est efforcé de modéliser une lecture dite savante comme une «chaîne opératoire » alors traduisible en un « support hypomnésique » numérique. Cet effort de traduction de l’activité de recherche en pratiques matérielles discrètes et combinables — constituer, structurer, archiver un corpus ; surligner, annoter, partager un document — eut pour objectif la rédaction d’un cahier des charges fonctionnel pour un appel d’offre au cœur de la spécification de tout le système d’information de la BnF. Les maquettes de P.LA.O. que soumirent plusieurs entreprises privées et évaluées par un ensemble de « grands lecteurs » donnent rétrospectivement chair à ce projet : 300 postes informatiques, dotés de scanners et d’imprimantes, mis à disposition dans des carrels dédiés, comme autant d’interfaces physiques donnant un accès outillé à un corpus virtuel, tandis qu’est discutée en parallèle la politique de conservation devant présider à la numérisation des fonds. Si le P.L.A.O. ne verra jamais le jour, l’archéologie de ce medium disparu est riche d’enseignement pour comprendre la conception et l’histoire de Gallica, véritable salle de lecture virtuelle. Trente ans plus tard, Gallica se présente comme l’interface de consultation à distance d’un important corpus historique résultant d’une politique patrimoniale de numérisation. Au croisement de l’ethnographie des pratiques savantes et des études de médias, la seconde partie de cette étude propose de s’intéresser aux parcours de lecture d’historien·ne·s et archivistes sur Gallica par le moyen d’entretiens semi-directifs et de mises en situation de recherche1. Les entretiens en quatre étapes concentriques, allant progressivement de l’interface numérique vers le bureau physique, ont permis de porter une attention particulière au degré de facilité démontré par les enquêté·e·s dans l’objectivation de leurs propres pratiques, ainsi qu’aux métaphores utilisées pour les décrire. De plus, lors de la mise en situation, l’écart entre le discours et la performance, plutôt que l’incohérence, a constitué un élément important pour évaluer la réflexivité pratique des utilisateur·ice·s. Cette recherche en cours permet de documenter en détail l’intrication des pratiques matérielles et des interface virtuelles, ainsi que les stratégies de navigation développées par les chercheur·se·s qui témoignent de leur volonté de trouver « des embranchements originaux » à l’ère du numérique.

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