Résumé

« Pédibus… c’est pratique, agréable, ça maintient en forme, ça ne pollue pas ! » Cette campagne d'information et de sensibilisation du Pédibus reflète la mise à l’agenda des politiques publiques locales en faveur des déplacements à pied. Elle s’inscrit dans un contexte historique caractérisé par l’usage intensif de l’automobile pour l’accompagnement des enfants vers l’école depuis les années 1970 (van der Ploeg, Merom, Corpuz, & Bauman, 2008). Apparu à Lausanne en 1998, le Pédibus s’est généralisé en France dans les années 2000. Tous deux s’inscrivent dans une perspective commune: encourager la marche à pied sur le chemin des écoliers comme solution alternative au déplacement automobile. Leurs systèmes de Pédibus diffèrent pourtant sensiblement. En Suisse Romande, il naît d’initiatives locales, en France d’injonctions (Directives Européennes). Toutefois, les Pédibus ont tendance à s’essouffler, particulièrement en France. Les facteurs explicatifs sont nombreux (Kingham & Ussher, 2005). En conséquence, ce problème public d’accompagnement des enfants en voiture sur le trajet domicile-école donne lieu à des stratégies de communication visant à modifier le comportement des individus. C’est au prisme d’une comparaison internationale que nous avons appréhendé les valeurs défendues par les promoteurs des Pédibus et questionné la manière dont les individus sont représentés dans ces politiques communicationnelles. Ainsi, nous avons constitué un corpus documentaire institutionnel basé sur des plaquettes de communication « grand public » (site internet, guides méthodologiques, affiches) portant sur les Pédibus en France et en Suisse Romande pour la période contemporaine. Cette base documentaire a donné lieu à des analyses de contenu du discours des acteurs qui les promeuvent. Ces dernières ont été automatisées à l’aide de logiciels dédiés à l’analyse du discours sur des corpus de texte (Tropes et Iramuteq) et à l’exploration statistique (R project). Cette méthode qualitativo-quantitative permet la systématisation de l’analyse et la généralisation de nos interprétations du contenu des communications. En complément, des approches qualitatives d’analyses iconographiques (bande dessinée, photographie, dessin) ont été réalisées. Les analyses préliminaires ont porté sur 32 documents. Nos résultats montrent de manière significativement prépondérante l’usage de textes informatifs dans lesquels le narrateur argumente pour persuader le lecteur, avec l’emploi de modalisations d’intensité dramatisant le discours. L’analyse thématique permet d’extraire les principaux objectifs défendus par les promoteurs des Pédibus (principalement l’ADEME en France et l’Association Transports et Environnement [ATE] en Suisse). En France, l’accent est mis sur l’insécurité routière, en Suisse sur l’activité physique et la lutte contre l’obésité. Tous deux mettent en avant d’autres objectifs liés aux nuisances environnementales (causées par l'usage de l'automobile), à la convivialité et à l’apprentissage de l’autonomie des enfants. Certains de ces arguments sont contrastés (Depeau, 2008; Moodie, Haby, Galvin, Swinburn, & Carter, 2009). Nous observons au travers de l’iconographie une dichotomie: l’une optimiste illustrant les vertus de la marche à pied ; l’autre pessimiste présentant un avenir gris causé par un usage inchangé de l’automobile. Basée sur une imagerie enfantine, elle dessine le « bon » comportement à adopter en ville. Notre corpus documentaire semble ainsi mettre en récit les représentations de l’urbanité quant à la volonté de rendre la ville piétonne, « durable », « conviviale » et « sûre ». À l’heure de l’institutionnalisation des dispositifs de Pédibus, cette comparaison internationale permet de mettre en évidence des difficultés de légitimité et d’efficacité. Ce bilan mitigé entre discours et efficacité semble témoigner des limites de politiques publiques essentiellement fondées sur des stratégies de communication. Elles visent à orienter les conduites des individus en mettant l’accent sur la responsabilité individuelle et la pédagogie tout en recourant à la morale. Le Pédibus se réduirait à une politique d’animation et d’incitation dont l’objectif serait de résoudre des problèmes publics (santé et mobilité durable). Assiste-t-on à une forme de dépolitisation de l’action publique ?

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