Abstract

Le pont du Salginatobel construit par Maillart en 1928 est considéré par beaucoup comme une pièce maitresse de l’ingénierie structurale. On peut en effet y voir transparaître la maîtrise de son concepteur sur l’objet. Cette maîtrise est due à l’expérience qu’entretient Robert Maillart avec le béton armé mais également aux méthodes et outils qu’il employa pour arriver à ses fins. Une analyse des épures originales de la conception du Salginatobel nous permet de retracer la chronologie du processus. Tout commence par l’identification claire du comportement structural de l’ensemble, il s’agira d’un pont à trois articulations dont la flexibilité répond au caractère instable du sol servant d’appui. L’étape suivante consiste à copier les géométries d’un pont de typologie identique dont le dimensionnement est connu, en l’occurrence le pont du Tavanasa, construit en 1905 par Maillart. Cette copie sera alors déformée pour répondre aux géométries de la vallée du Salgina. Il s’ensuit un travail itératif que Maillart recommencera par trois fois : ( a ) le pont est divisé en segments dont le poids propre et le centre de gravité sont estimés, ( b ) la ligne des poussées ( funiculaire ) de ces charges est dessinée, ( c ) la variation des moments de flexion le long du pont sont déduits de l’excentricité de cette ligne des poussées avec les centres de gravité, ( d ) les géométries du pont sont enfin remaniées jusqu’à ce que la somme des moments internes soit minimisée. Ce travail simultané des géométries du pont et des efforts internes qu’elles induisent peut être considéré comme une optimisation à part entière. Maillart effectua pourtant ce travail à la main, à la règle et au compas. Le calcul est intégralement graphique et c'est cette caractéristique, combinée à quelques hypothèses simplificatrices telles que l’usage ( empirique ) du théorème statique du calcul plastique, qui donna à Maillart toute sa maitrise sur le problème structural posé. Le dessin de statique graphique permet en effet de synthétiser sur un support uniforme - la géométrie – l’ensemble des données et contraintes du projet, qu’il s’agisse de forme ou d’efforts. Par ailleurs, nous connaissons aujourd’hui tous les avantages qu’apportent le dessin ( et le calcul ) assisté par ordinateur : rapidité d’exécution, retour direct à une configuration précédemment sauvegardée, copies immédiates, automatisation de routines, interaction avec d’autres logiciels effectuant d’autres tâches, etc. Dès lors, nous pouvons oser la question suivante : quel outil emploierait Robert Maillart s’il lui était donné de travailler aujourd’hui ? Ou plus généralement, à quoi ressemblerait un outil de morphogenèse structurale assisté par ordinateur qui soit apte à accompagner le travail graphique de définition simultanée des géométries et des efforts ? La recherche présentée ici vise à répondre à cette question. Elle s’appuie sur la capacité de la majorité des problèmes structuraux à être réduits à une manipulation géométrique d’un système réticulé formé de bielles et tirants. Ceci est particulièrement vrai pour le béton dès lors que l’on traite graphiquement les moments internes, les systèmes hyperstatiques, les systèmes précontraints ou les champs de contraintes. Cette recherche propose d’informatiser les méthodes en jeu dans la statique graphique par l’ajout de deux nouveaux concepts. Le premier consiste à travailler la structure par transformations successives d’équilibres structuraux. On peut en effet identifier une série d’opérations élémentaires qui modifient chacun des deux diagrammes ( polygone des forces et diagramme des géométries ) et qui ne mettrons jamais en défaut l’équilibre statique de l’ensemble. Le second concept agit sur les noeuds des diagrammes, c'est-à-dire les extrémités des bielles ou des tirants. L’idée est ici de limiter l’ensemble des positions de ces noeuds à l’aide de contraintes géométriques ( demi-plans, droites, circonférences orientées, ... ). Appliquées dans le diagramme des géométries, ces contraintes agissent sur la topologie de la structure ; appliquées dans le diagramme des forces, ces contraintes agissent sur l’intensité et l’orientation des efforts. Grâce au parallélisme existant entre les deux diagrammes, il devient dès lors possible de définir, graphiquement et systématiquement, les domaines d’existence de chaque noeud. D’une part, ceux-ci empêchent le dessin de configurations non-souhaitées. D’autre part, ils caractérisent toutes les autres configurations structurales possibles, avant même d’en avoir calculé les conditions d’équilibre.

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