Peut-on parler de gentrification dans le centre de Sao Paulo (Brésil)? Ou devons-nous plutôt observer une situation de coprésence durable de différentes populations? Sur la base d'une analyse du contexte latino-américain et de la situation des centres métropolitains de cette région, nous allons aborder les changements récents des dynamiques socio-spatiales dans la ville de São Paulo. Afin d'évaluer la présence de processus de gentrification dans son centre historique, où apparemment se met en place un processus de réinvestissement économique et social, nous comptons effectuer une analyse quantitative – à l'aide de systèmes d'information géographique – de l'évolution du tissu social et des opérations immobilières dans cette zone. Notre étude proposera ainsi une analyse empirique de ce que Fernando Carrión appelle «introspection cosmopolite», qui vise à augmenter la compétitivité de la ville au travers de la restructuration du tissu urbain existant, permettant d'y installer de nouvelles activités liées à l'économie mondialisée. À São Paulo, ce processus semble marqué par des spécificités politiques et sociales qui découlent de l'importante présence de populations précarisées dans son centre historique – que nous appellerons ici le «Centre». Ces populations bénéficient de l'appui de mouvements sociaux qui opèrent en contrepoint aux projets de restructuration urbaine, de manière que deux agendas plutôt divergents se superposent dans un même espace: d'un côté, les mouvements sociaux fortement politisés qui, dès les années 1990, ont déplacé la lutte pour le logement populaire digne de la périphérie au Centre; de l'autre, les promoteurs de la «revitalisation urbaine» soutenus par les narratives de la «ville globale» et du «city marketing», qui voient dans la permanence de populations précarisées un obstacle à la revalorisation de ces quartiers. Cette compétition pour l'espace dans le Centre suscite depuis des années un débat controversé sur la possibilité de processus de gentrification dans cette zone, opposant des mécanismes locaux opérant comme des leviers ou des obstacles à ce processus. En même temps, ce débat s'insère dans une question plus large : celle de l'application d'une notion anglo-saxonne dans des contextes très différents de son lieu d'origine. Le Centre de São Paulo devient alors un cas d'étude intéressant et pertinent dans le débat actuel, qui permet de développer un regard nuancé sur la gentrification, tout en ouvrant des nouvelles clefs de lecture pour le développement des centres latino-américains. Enfin, ce débat aborde directement les complexités liées à la négociation d'intérêts d'ordre économique et social autour de la configuration de l'espace urbain.