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Abstract

Au vu du travail accompli qui transparaît de sa foisonnante archive de papiers personnels, Vincenzio Viviani (1622–1703), ultimo discepolo de Galilée, n’est pas d’abord mathématicien, il est avant tout ingénieur. S’étant lui-même présenté comme premier mathématicien et dernier disciple, l’historiographie a voulu le retenir comme l’auteur de quelques ouvrages imprimés et publiés de géométrie euclidienne en lien avec les nuove scienze galiléennes. Viviani a pourtant passé la majeure partie de son existence au service puis en charge du corps toscan des Capitani di Parte. Responsables des biens domaniaux, des poids et mesures ou des impôts, les ingegneri de ce corps sont des acteurs majeurs de la « guerre des eaux » qui oppose alors les États pontificaux et la Toscane au sujet de l’assainissement du Val-d’Arno. Nommé idrometra à l’instant même où il devient primo matematico en 1666, Viviani, qui rechigne à la tâche, n’a fait imprimer et publier de ses nombreux travaux d’hydraulique que deux discorsi adressés au Grand-duc et qui relèvent d’un exercice rhétorique et auctorial bien particulier. Le gros du travail de l’ingénieur réside en effet dans la rédaction et la circulation de notes et de billets manuscrits appelés relazioni di fiume qui, officiellement adressés au Grand-duc mais envoyés à l’Ufficio du corps des ingénieurs, sont autant d’expertises hydrographiques résultant d’un travail d’observation, de relevés, de mesures effectués sur le terrain. Des relazioni dont la construction relève elle aussi d’un exercice de littérarisation spécifique permettant de traduire dans le langage des décisionnaires l’expertise de l’ingénieur. La figure du savant et le lien que celui-ci entretient avec son archive s’en trouvent en conséquence modifiés. Des relazioni rédigées par l’expert au calme de son bureau aux appunti saisis sur le vif du terrain par l’ingénieur, puis des discorsi publiés et diffusés aux notes recopiées et archivées, rebroussons par deux fois le chemin de la génétique des textes en direction des papiers de travail de Viviani pour mettre en lumière la pratique matérielle du brouillon. Cela nous permettra de voir les limites d’une critique génétique qui ne se résout toujours pas à considérer les brouillons sui generis : plutôt que d’envisager ceux-ci comme des avant-concepts, des seuils, des écrits périphériques ou intermédiaires, des objets frontières ou des hybrides qui n’auraient de sens qu’orientés vers l’horizon de l’œuvre, il faut considérer l’espace graphique qu’est la feuille de papier, et l’archive qui en est son accumulation, comme fin de l’enquête.

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