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Abstract

Depuis bientôt deux siècles, les professions d’architecte et d’ingénieur ont vu leur rôle codifié, parfois figé, dans la majeure partie de leurs échanges professionnels. L’un dessine la forme, puis l’autre la calcule et la rationa-lise : la partition ainsi réglée est celle que l’on continue à apprendre dans bon nombre de nos écoles et de nos académies. Ajoutons à ce tableau brossé à grands traits, le rôle spécifique de l’ingénieur des années cinquante auquel on demandait d’optimiser la matière et qui, dès les an-nées quatre-vingt, devant le renchérissement de la main d’œuvre et le développement des normes de sécurité, en est venu à proposer des solutions où l’épaisseur de la ma-tière était toujours plus conséquente. Depuis la fin du XXe siècle, les problèmes de « développement durable » se sont ajoutés à d’autres règles de sécurité : cette conjonction produit désormais des détails constructifs et des dispositifs que la Clémentine de L’Arrache-cœur de Boris Vian ne renierait pas. Mais l’urgence climatique et les tranformations so-ciales ont parallèlement ouvert d’autres chapitres dans les champs de la réflexion et de la recherche. À la rivalité supposée ou avérée du binôme architecte-ingénieur, d’aucuns ont proposé non seulement de reconsidérer ces rôles, mais aussi d’interroger le processus tout entier. Dans ce nouveau monde qui utilise d’une manière particulièrement performante et rafraîchissante les avan-cées de l’outil informatique et de la création numérique, nous avions envie d’en cerner l’un des aspects, en rencontrant deux représentants de la recherche en matière d’in-génierie structurale qui exercent en Suisse. Le professeur Corentin Fivet à l’École polytechnique fédérale de Lausanne et le professeur Philippe Block à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich nous ont ou-vert les portes de leurs laboratoires. Ce dossier s’articule principalement autour des entretiens qu’ils nous ont accordés. Ces ingénieurs-architectes, une double formation dispensée en Belgique, sont chacun à la tête d’une équipe de chercheurs avec laquelle ils élaborent de nouveaux pro-cessus et des outils de projets destinés, à terme, à des programmes de construction d’envergure. Si leur analyse de la situation mondiale concorde, les outilsde projets qu’ils proposent présentent plusieurs variations ; cependant, tous deux soulignent l’importance de l’analyse des modèles anciens et utilisent la sta-tique graphique, une méthode de résolution des calculs par le dessin, héritée du XIXe siècle et revitalisée ces dernières décennies grâce aux progrès de l’informatique. C’est cette méthode que plébiscite également Jürg Conzett, ingénieur civil et associé, à Coire, du bureau Conzett Bronzini Partner AG. Dans sa contribution qui complète le dossier, ce praticien auquel on doit nombre de réalisations remarquables, illustre notamment ce que l’analyse du passé, non de manière nostalgique, mais consciente et rationnelle, apporte d’essentiel aux projets. Savoir dans quelles conditions les inventions apparaissent et, simultanément, quels fondamentaux ressurgissent régulièrement dans l’œuvre et la société humaine, ne sont pas des questions si absurdes qu’il y paraisse. Cela dans nos domaines professionnels bien entendu, mais pas seulement. Nous pourrions les partager, par exemple, avec l’historien médiéviste Jean Gimpel qui situe de façon documentée la première révolution industrielle au XIe siècle et pose la question du cycle des civilisations. Lorsque nous regardons, aujourd’hui, les questions qui nouent les dernières réalisations et l’ensemble des recherches en matière d’ingénierie structurale, l’intérêt d’une réflexion ouverte sur la question se pose tout autant. Nous nous contenterons de parler ici d’« apports », d’« influences » et peut-être de « rebondissements » pour ce dossier rédigé à un moment bien particulier pour nos métiers et nos vies professionnelles.

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