Fichiers

Résumé

Le dernier disciple de Galilée, Vincenzio Viviani, fut aussi le premier ingénieur du Grand-duc de Toscane de 1656 jusqu’à sa mort en 1703. Chargé tout au long de sa carrière de nombreux travaux d’hydraulique ou d’architecture tandis qu’il poursuivait plusieurs entreprises géométriques, son œuvre, encore trop peu connu, est souvent resté inédit. L’archive personnelle de l’ingénieur mathématicien, conservée avec les papiers de son maître et de ses condisciples à la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence, forme un inextricable « réseau d’écritures » qui donne à voir une facette des milieux de savoir dans lesquels frayait Viviani : un milieu d’encre et de papier. En se penchant sur la manière dont Viviani produisait et organisait sa propre archive, nous nous donnerons les moyens de replonger celui-ci dans son milieu de travail. Porte d’entrée de l’historien dans l’atelier savant, l’archive qui au premier abord semble s’imposer comme un lieu d’une évidence nécessaire se révèle bien vite un objet polymorphe et aux contours flous. Jamais achevée ni figée car continuellement produite et consultée, l’archive de l’ingénieur se confond avec la bibliothèque mélangeant manuscrits et imprimés, publics et privés, dans des formats et des états de conservation divers, des brouillons, des correspondances, des dessins, des livres, des notes de terrain... doublés de tout l’appareil nécessaire à leur consultation. Face à ce monstre de papier, les pratiques développées par Viviani révèlent à quel point les savoirs d’archive sont préalables à toute activité intellectuelle, permettant au savant non seulement de façonner mais encore de s’orienter et de naviguer dans l’océan d’inscriptions de la culture écrite dans laquelle il baigne. En identifiant la pratique de la lecture comme moment inaugural de la consommation et de la production d’archive, et en se penchant plus particulièrement sur les notes prises par Viviani à la lecture de manuscrits mathématiques, le savant en son archive se montre comme le naturaliste au milieu de ses spécimens : collectionnant, inventoriant, classant les inscriptions comme le naturaliste les taxons, le savant met ainsi en branle une herméneutique hybride du monde naturel visant à faire coalescer les mots et les choses. Le papier comme support matériel de l’écrit se présente en effet comme la condition de possibilité même de l’usage de toutes les inscriptions qui forment le milieu du savant, son écologie. Condition de possibilité, le papier contraint et informe la pratique de l’écrit et subordonne donc les opérations intellectuelles savantes aux opérations matérielles rendues possibles par un certain usage du brouillon ou du papier de travail. En faisant appel à de récents développements en anthropologie des savoirs et en théorie des médias, la présente contribution se propose donc d’envisager l’encre et le papier comme un medium de la connaissance – une fenêtre ouverte sur un monde à saisir par la raison. L’archive personnelle du savant moderne apparaît par conséquent comme une véritable milieu dont l’« écologie documentaire » restructure à chaque instant l’état du savoir et les formes de subjectivité du savant qui l’habite.

Détails

Actions

Aperçu