Abstract

Chaque propriété de l’espace modélisé par les concepteurs d’une expérience vidéoludique sert une structure narrative qui met en scène une histoire (Carson, 2000 ; Jenkins, 2004). Or, de plus en plus de dispositifs donnent aux utilisateurs le pouvoir de transformer l’espace du monde expérimenté et les objets qui le peuplent. Dès lors, autour de quelles « propriétés » l’architecture narrative des expériences vidéoludiques qui ont lieu au sein d’univers constitués de milliers d’espaces modélisés et modelés par des utilisateurs (ou joueurs) se structure-t-elle ? Pour répondre à cette question, nous présenterons dans un premier temps quelques mondes virtuels accessibles grâce au réseau internet. Les divers exemples permettront de souligner la place grandissante du « build », ou la construction d’objets et de l’espace par les utilisateurs, dans ce type de dispositifs. Alors, nous évoquerons divers degrés de la « capacité transformatrice » d’un utilisateur, qui caractérise « l’ensemble des capacités d’action mécanique, ludique et scénaristique » qui lui sont proposées pour modifier le monde qu’il expérimente (Mauco, 2013). Dans un second temps, nous exposerons les résultats d’une étude que nous avons menée sur les pratiques spatiales des avatars dans le monde de Second Life (Lucas, 2013). Nous constaterons que ces derniers bougent peu. Pourtant, nous expliquerons qu’ils réalisent différentes activités qui se structurent en fonction des possibilités d’actions, ou des « droits », qu’ils ont selon les territoires explorés et investis. Nous argumenterons que ces activités sont également le fruit des attachements que les individus entretiennent avec ces espaces numériques. Nous relierons alors la problématique de la construction active d’un environnement numérique à celle de son appropriation (Cayatte, 2016), et décrirons différents usages et différents modes d’attachement à ces espaces. Dans une troisième partie, nous proposons de développer une réflexion plus exploratoire sur l’évolution de la place du « build » dans les expériences vidéoludiques. Nous souhaitons interroger les « effets » de cette tendance qui consiste, au-delà de permettre aux utilisateurs de produire des objets, à ce que les concepteurs incluent de moins en moins de narration dans les univers qu’ils génèrent, et à proposer aux individus de plus en plus de liberté dans les histoires qu’ils souhaitent vivre . Ainsi, comment penser la construction d’expériences collectives dans des « mondes » où il devient possible de personnaliser et de différencier toujours plus finement son expérience, donc de l’individualiser ? Pour aborder cette problématique, nous aurons recours à la conception heideggérienne du terme « bâtir » (Heidegger, 2003), afin d’appréhender différemment le rapport de l’être au monde qu’il construit, mais aussi dans le but d’élargir la problématique initiale à un questionnement plus vaste sur notre « devenir avec » (Haraway, 2008) ces mondes numériques.

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