Abstract

Comment rendre compte de l’espace perçu, construit et vécu des villes, sans réduire la complexité des approches, des dispositifs et des pratiques ? C’est le pari de l’observation in situ, issu d’un voyage, d’un déplacement (au strict comme au figuré) de notre aptitude de confronter notre corps à une des réalités du lieu, celle constitutive des « petits riens » urbains, dont la marche est à la fois l’un des moyens et l’une des composantes. Chercher à représenter l’espace public par la marche, c’est admettre que l’ensemble des déplacements à pied donne lieu à une nouvelle matérialité de l’espace urbain. Comme si la marche devenait l’une des conditions nécessaires, mais suffisantes pour qualifier et quantifier la publicité d’un espace. A la recherche d’une métrique qui serait pédestre, chaque pas compte et participe aux espaces de représentations des villes, à savoir les places majeures, promenades, parcs ou autres lieux de « captations du monde ». Les interactions interpersonnelles ou contextuelles sont alors autant d’indices d’une commensurabilité à actionner dans l’élaboration d’une cartographie du réel. Forts des enseignements cartographiques venus d’avant, d’ailleurs et de l’art contemporain, le rapport à la marche comme exploration du monde s’organise bien souvent en terme d’itinéraires. Ces recueils de traces sous la forme de cartes, peintures ou carnet de notes convoquent la mémoire et pérennise sa transmission. Qu’elles soient narratives, scripturales ou initiatiques, ces représentations attestent de parcours réalisés lorsque le trajet prime sur les points de départ et d’arrivée, lorsque les expériences « en chemin » celles au fils de la progression traduisent une spatialité singulière. Embarqué dans son voyage, le carnet interroge également la notion de terrain, celle du chercheur dans son rapport d’« ethnonnement ». Marcel Mauss préconisait de tout noter de la façon la plus précise qui soit. Cela revenait, confusément, mais sûrement, à objectiver la réalité observée par un retour à « l’expérience d’observation », avant tout. Dans une anthropologie de l’ordinaire, la conversion du regard parait aussi fondamentale que seule l’adoption d’une disposition particulière, de la spéculation et de l’imaginaire saurait résoudre. De l’espace de représentation à la représentation de l’espace, c’est l’objet du procédé cartographique à imaginer. Le support à expérimentation désigné ici par le carnet de terrain est le dispositif qui traduit, du moins informe sur les potentialités des lieux parcourus. En faire l’expérience consiste à développer une démarche nécessairement empirique, détachée des tourments du positivisme pour une objectivité toute relative, où seules les possibilités offertes comptent, ouverte par un usage heuristique, inventif ou expérimental. Les notes du carnet témoignent ainsi d’une « science dans l’enfance », toujours à éprouver et souvent à requestionner. Elles suggèrent un cheminement de pensées, non linéaire, mais dont l’assemblage fait sens. Manipulées par la suite, elles deviennent source d’un savoir, non moins inquiet. Le carnet intéresse d’autant plus pour ce qu’il dissimule. Il reste ainsi l’humble témoin d’un moment, celui de la transcription du geste en signes. Cette écriture plus ou moins automatisée sera l’ébauche d’une notation qui dans le cadre de l’étude sur la marche marque l’appropriation d’un momentum, une somme de mouvement fruit d’une oscillation entre ductus et continuum. L’inscription du mouvement étant la courbe de toute chose, la figure de la ligne s’impose dans une narration de l’écoulement du temps dans l’espace. À partir de carnets réalisés lors de différents terrains en Inde explorant la diversité des villes indiennes allant de Bénarès à Mumbai, ces opérations exploratoires cherchent avant tout à cartographier l’espace public de ces « villes-mondes » par la marche, celle ordinaire des usagers du lieu autant que celle ethnographique du chercheur dans une tentative d’épuisement des lieux. Un voyage nourri d’un imposant recueil d’altérités cartographiques va servir de ressource au travail de recherche nécessairement en cours. Ce cheminement de pensée cherchant à produire de nouvelles alternatives cartographiques, dites « topocritiques », sera appuyé par d’autres tentatives d’artistes et de chercheurs dans leurs explorations de territoires actuels, à savoir ceux de l'artiste marcheur Matthias Poisson, de l'architecte Francesco Carreri, de l'anthropologue visuel Luiz Edouardo Robinson Achutti ou d’artistes contemporains comme Stanley Brouwn, Léon Ferrari ou Vito Acconci, qui ont déjà pu investiguer cette perspective « cartoethnographique ».

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